vendredi 20 novembre 2009

Le jour J

Lundi 9 novembre. Il est 2h du matin, nous sommes à Tignes. Nous y sommes arrivés la veille au soir, pour qu’Alexis s’entraîne une semaine pour le BE de ski alpin. Nous avons un charmant petit appartement dans lequel nous nous sommes déjà bien installés. Mais à peine quelques heures plus tard, des contractions me lacèrent le bas du ventre toutes les 7 minutes. Je me tortille sur place, ce qui finit par réveiller Alexis. Je lui dis que les contractions sont douloureuses, vraiment pas comme d’habitude, mais qu’on ne sait jamais, c’est peut-être une fausse alerte. Je vais prendre une douche chaude pour voir si elles s’arrêtent. Pendant ce temps, Alexis écrit sur les notes de son I-pod « Gaëlle a des contractions, Mini-Rodrigoux va-t-il arriver aujourd’hui ? ». La douche n’atténue rien du tout., mais je propose qu’on attende encore. Alexis se rendort, moi, je n’y arrive pas. A 6h, c’est toujours pareil. On décide de ranger l’appartement. La neige, ce sera pour plus tard.
6h30, je m’installe sur le siège de la voiture, recouvert d’une bâche et d’un drap ; on avait quand même prévu le coup ! C’est parti pour la longue descente de Tignes. Bourg-Saint-Maurice « Ca va, on continue ou on s’arrête à la maternité ici ? ». Pas d’urgence, prochain point à Albertville. A ce stade, toujours la même régularité et la même intensité. On décide donc de continuer et de passer par Héry-sur-Ugine, car les gorges de l’Arly sont fermées. C’est bien notre veine. On prend un raccourci qui finit en cul de sac ; demi-tour. Puis on rattrape un camion et un convoi exceptionnel… Il y a des fois… Et une fois dans les gorges, la prochaine maternité, c’est Sallanches ! On appelle nos parents pour les mettre au courant. La sage-femme, Elisabeth, qui doit venir pour l’accouchement à domicile (AAD) est également sur le qui-vive. Il nous reste à récupérer les dernières analyses de sang à l’hôpital, aller chercher la bouteille d’oxygène que la sage-femme demande d’avoir à disposition pour l’AAD. C’est rigolo d’aller à l’hôpital en ayant des contractions mais sans monter à la maternité ! Alexis me dépose chez la sage-femme qui m’a suivie sur Sallanches (car Elisabeth habite Thônes, à 1h de route), pour qu’elle m’examine. Lui, file à la pharmacie pour prendre ce qu’il nous manque. J’en suis à 1-2cm. C’est bien pour aujourd’hui, mais j’ai le temps. Il est alors 9h30. Je vais à la rencontre d’Alexis en marchant.
10h, nous sommes chez nous. Alexis aménage l’appartement, pendant que je gère la douleur en pensant à mes exercices de yoga et de relaxation : je respire en parcourant mentalement tout mon corps, j’expire de la couleur, je fais des sons, je veille à rester relâchée. Puis je me détends profondément entre chaque contraction, en ne pensant à rien d’autre qu’au moment présent. Je regarde l’heure le moins possible. Je parle à mon bébé. Je le sens bouger. Je fais des mouvements de bassins pour qu’il puisse trouver son chemin. J’essaie de boire et manger quelques fruits secs. J’apprécie, mais à la contraction d’après, tout ressort.
Nous avons régulièrement Elisabeth au téléphone, qui juge au son de ma voix à quel moment elle doit prendre la route. Alexis me propose plusieurs fois d’aller à l’hôpital, mais je n’en ai pas du tout envie. Il pose plusieurs fois un ultimatum : si dans 1h Elisabeth ne vient pas, on part. Nos parents appellent : ils commencent à trouver le temps long.
Vers 15h, Alexis demande à ce qu’Elisabeth nous rejoigne. Mais elle a un contretemps et n’arrive finalement qu’à 17h30. Moi, j’ai de plus en plus mal, j’ai besoin de changer de position, j’ai l’impression d’arriver sur la fin du travail. Entre deux contractions, je reste concentrée. Dans ma tête, je me dis qu’Elisabeth va arriver juste à temps pour l’expulsion. Tu parles…
Elle s’accroupit près de moi et m’observe un moment. Je n’essaie même pas de faire bonne figure, je n’en ai plus la force ni l’envie. Alexis commence à monter la piscine. Ils la remplissent d’eau à 37-40° et je m’y glisse avec bonheur. Il fait nuit dehors maintenant. Chez nous, seules les lampes du couloir et de la cuisine sont allumées, agrémentées de quelques bougies parfumées. La radio Internet diffuse des chansons que j’entends à peine.
Dans ma tête, je crois toujours que le bébé va bientôt être là et qu’on utilise beaucoup d’eau pour pas grand chose. Une contraction passe, que je gère seule. Puis Elisabeth me propose d’ouvrir les jambes. Je suis surprise, car pour l’expulsion, je sais qu’elle pense préférable de resserrer les genoux. Mais je me sens effectivement mieux en ouverture. A la contraction suivante, elle fait un son « hôôô » bien plus grave et sonore que le mien ; je la suis et elle me dit « pense aux spirales, qui s’ouvrent , qui s’ouvrent, aussi larges que la piscine ». Là, je sens tout de suite la différence. La douleur est toujours là, mais différente. Pas moins intense, au contraire, mais je la sens enfin efficace. Entre les contractions, je suis bien, les yeux fermés, je ne pense à rien. Puis arrive une nouvelle vague. Allez, on refait pareil, le son, la visualisation. C’est difficile, car il faut accepter d’entrer vraiment dans la douleur ; c’est un peu effrayant et je sens parfois que je suis sur la défensive quelques secondes par contraction. Faire des sons aide à rester concentré tout le long, à s’intérioriser. Je pense aussi au bébé ; je lui parle, mais mentalement maintenant. Je n’ai plus envie de parler. Je réponds dans un souffle aux questions. Elisabeth m’examine et là, coup de massue : j’en suis à 5-6 cm seulement. Il est 18h30, ça fait presque 17h que ça a commencé… Mais ça, je ne le calcule que maintenant ! Par contre, j’ai quand même un moment de « Oh non, c’est pas possible ». Puis une nouvelle contraction me remet dans l’action et je m’arrête de penser. Surtout ne pas penser, rester dans le moment présent. C’est ça qui m’a sauvée, être dans le moment présent uniquement. La chose que je n’arrive d’ordinaire pas à faire. C’était un peu mon défi dans cet accouchement. Je savais que c’était la clé mais également ma plus grande lacune. Le fait que j’étais en forme m’a également permis de tenir jusqu’au bout ; je dormais bien et j’étais dans une belle énergie tout au long de ma grossesse. Je ne me suis jamais sentie épuisée durant l’accouchement. Au contraire, je sentais une puissance grandir à chaque contraction, en tout cas, à partir du moment où j’étais dans la piscine.
Je vis donc au rythme des contractions : repos, action, repos, action… Comme me l’avait conseillé Elisabeth au cours de la préparation, je m’efforce de ne pas penser à la contraction qui vient de passer, ni à celle qui va inévitablement arriver. Pendant les phases de relâche, je reste concentrée, dans ma bulle. Au fur et à mesure que la fin approche, ces périodes sont de plus en plus courtes et la douleur ne me laisse pas toujours de répit. Mais Alexis est là, très présent. Je lui broie les mains, il me masse, me propose à boire, me met un gant frais sur le visage, rajoute de l’eau chaude dans la piscine, il m’encourage, fait les sons avec moi. Il m’a donné une grande force et je sentais vraiment la différence lorsqu’il m’accompagnait sur le son. Sa voix plus grave amenait une vibration apaisante. Je me souviens qu’à un moment, il m’a demandé si je voulais aller à l’hôpital. « Nooonn ! » lui ai-je répondu. Je me suis également dit que si j’y étais, j’aurais sûrement craqué pour la péridurale…
Le bébé est maintenant engagé. Elisabeth me suggère de changer de position et de me mettre sur le côté pour qu’il n’appuie pas sur le sacrum. Je passe un moment ainsi avant de passer à genoux, la tête reposant sur le bord de la piscine. C’est ainsi que je mettrai notre enfant au monde. Il appuie sur le périnée, de plus en plus fort. J’ai envie de pousser, mais pendant plusieurs contractions il ne fera que faire semblant de sortir puis de rentrer. Et moi je pousse encore plus longtemps que dure la contraction. A chaque fois je crois que c’est la bonne. Mais non, il me faudra encore bien une demi-heure avant la dernière. La sage-femme m’aide à me concentrer sur l’ouverture. Je visualise une grande porte qui s’ouvre, de la lumière qui accompagne le bébé. J’ai aussi cette image, souvenir d’une belle expédition en parapente biplace au Népal avec Alexis. Nous étions dans un nuage, à enrouler le thermique, puis nous sommes avancés et le nuage s’est déchiré sur une vue imprenable surplombant le Lac de Pokhara dominé par les Annapurnas. Je visualise donc cette ouverture, cette immensité, ce passage tourne en boucle dans ma tête pendant que le bébé descend tout seul. « Viens toucher sa tête », me dit Elisabeth. Et là, incroyable, je sens quelque chose de mou avec des cheveux très fins qui flottent dans l’eau. C’est magique et ça me redonne des forces. Sur la fin de la contraction suivante, je ne peux m’empêcher de pousser deux grands coups. Sa tête est là, la sage-femme lui dégage l’épaule et « sblouf », j’ai notre enfant entre les mains. Te voilà enfin, mon bébé. Je suis assise sur mes talons, avec ce tout petit corps chaud et lisse entre les mains. Je répète « Mon bébé, mon bébé ». Le nouveau Papa pleure de joie et d’émotion. Elle crie tout doucement. Elle n’a presque pas de vernix. Tu auras donc trompé ton monde jusqu’au bout Pitchoune : tu es presque à terme, ce qui signifie que tu as été conçue pendant une période que l’on ne soupçonne pas fertile, juste avant les menstruations. Au bout d’une ou deux minutes, je regarde le sexe. Et là encore, elle envoie les pronostics et les théories au rebut, c’est une fille. Eléa. Nous sommes tellement comblés. Elle est déjà belle, avec ses traits détendus, son regard profond. Elle suce son petit poing, alors je la guide vers mon sein qu’elle attrape et tète avec avidité. Nous sommes émerveillés et remplis d’amour pour ce petit bout que nous connaissons à peine.
Nous restons ainsi une dizaine de minutes pendant que le Papa appelle enfin les parents qui s’impatientaient. Le travail a duré 20h au total.
Mais ce n’est pas tout à fait fini. Il reste le placenta. Je sors de la piscine avec Eléa dans mes bras que nous enveloppons dans des serviettes chaudes. Je perds du sang avant de m’asseoir sur le canapé protégé par une bâche. Une inspiration profonde et le placenta est évacué ; qu’est-ce que c’est désagréable ! Mais il est venu entier. Tout va bien. Le seul bémol est une petite déchirure vite réglée par deux points. Avec de petits bouts de placenta, elle prépare une préparation matricale. Avec le recul, je suis sûr qu’en maternité, ils auraient accéléré le travail, j’aurais donc demandé une péridurale et on m’aurait fait une épisiotomie puisque ça ne serait pas aussi bien passé en position sur le dos. J’ai aussi une hémorragie légère. Elisabeth laisse sa main sur mon ventre pendant un long moment pour cautériser l’utérus. Elle prend ma tension qui reste assez bonne. De cet épisode, je garderai seulement un teint pâle pendant quelques jours. Mais Elisabeth a préféré rester la nuit chez nous au cas où. Elle dors sur le canapé pendant que nous nous glissons tous les trois, presque nus, sous notre couette. Que c’est bon… La puce se réveillera une fois pour téter et changer de couche. Enfin, de torchon, car pris de court, nous n’avions pas encore acheté de couches !!
Le lendemain matin, nous nous éveillons ensemble, un sourire béat aux lèvres, avec notre cadeau de la vie dans nos bras. Je ne sais pas quel temps il faisait dehors, mais chez nous le soleil brillait…



Comme tout le monde nous demande "mais...une piscine comment ?", la voici !

Vous avez l'honneur de voir Eléa dans les premières secondes de sa vie. Certes, la photo n'est pas très prude... c'est un accouchement !


Pour vous donner une idée de ce que sont les fameux "sons" qui m'ont aidé pendant l'accouchement.

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